Son
sourire est encore en suspens, sa main tendue et son air interloqué
quand tu quittes la pièce. Tu as un peu honte.
Ca
a commencé le matin. Tu as soigneusement plié le drap de bain et
les maillots dans ton sac. Tu as glissé les produits de douche et
les brassards. Tu as marché vers la piscine, en lui tenant sa petite
main. Tu as tout répété mentalement dans ta tête pour ne faire ni
erreur, ni oubli. Tu pénètres dans le hall, une femme te sourit.
Elle te pose une question. Tu fronces les yeux comme si tu pouvais
magiquement comprendre, puis tu t'excuses de ne pas parler japonais.
Tu es Française, tu es là pour trois mois seulement, tu dis.
Piscine, s'il vous plait? Elle continue à te parler en japonais puis
t'indique une machine. Elle t'aide aimablement, tu introduis tes
pièces pout ton ticket. Tu comprends qu'elle veut savoir si tu as
des bonnets de bain. Oui tu en as. Si tu as des brassards ou une
bouée pour la petite. Oui, tu es organisée. Elle te montre les
protections en plastique pour habiller tes chaussures. Tu t'exécutes.
En entrant dans les vestiaires, tu interromps les vieilles dames du
cours d'aquagym de 10h30. Non tu ne peux pas te changer là, tu dois
aller dans l'autre cabine, celle-là. Tu ajustes ton bonnet, tu te
diriges vers le couloir. Les gentilles commères te rappellent : tu
dois prendre ta douche. Tu le sais très bien, tu vas juste aux
toilettes. Près du bassin, tu demandes l'autorisation d'emprunter
une bouée supplémentaire. Tu descends dans le couloir numéro 1 :
tu ne peux pas rester là, des gens marchent. Tu vas dans le couloir
numéro 2 : tu ne peux pas rester là, des gens brassent. Tu tentes
le 3ème : impossible, des gens crawlent. Dans le 4eme, c'est
aquagym. Tu commences à perdre patience. Gêné, le maitre nageur
demande à l'un et à l'autre de se pousser pour vous laisser un
espace. Tu es mal à l'aise, tu vois que tu déranges. Tu ne rentres
dans aucune case. Tu veux nager le plus vite possible pour sortir le
plus vite possible. Dans la douche, tu ouvres le shampoing. Non !
C'est interdit. Tu demandes pourquoi. C'est interdit, c'est tout.
Tu
trouves que ce serait stupide de se braquer pour ça. Tu penses à ça
dans le bus pour aller au musée. Journée chargée. Comme
d'habitude, tu as emporté une trousse de crayons colorés et un
cahier pour qu'elle dessine ses toiles préférées. Pour lui faire
aimer, parce que l'art, ça doit aussi être décontracté. Elle
scrute attentivement les tableaux, de près, puis de loin, puis
encore de près, sérieusement. Elle a trouvé, c'est celui-là : un
arc-en ciel géant. Avec beaucoup de fluo. Ca tombe bien, elle a des
crayons fluos. Elle s'assoit et dégaine son matériel. Sagement,
presque trop, elle s'applique pour recopier. Derrière elle, tu sens
que ça s'agite. Une gardienne veut venir vers toi, puis se ravise,
tord un peu les mains, respire plus vite. Il y a un problème. Elle
réfléchit, elle cherche, elle veut te dire. Tu ne comprends pas.
Elle fait signe d'arrêter, elle dit "un moment" et
disparaît. L'arc-en-ciel apparaît peu à peu sur le cahier. Elle
revient avec une autre femme qui montre une pancarte où un stylo
plume est entouré de rouge et fermement barré. La gardienne montre
maladroitement le cahier et te tend un crayon à papier très
aiguisé. Les stylos c'est interdit, c'est comme ça, c'est la règle.
Tu dois dessiner au crayon à papier. Tu fixes les couleurs du début
d'arc-en-ciel, puis la mine grise, puis le regard désolé de la
gardienne. Tu dis "No thank you" la mâchoire trop serrée,
puis tu prends tout : la petite, le cahier, les fluos, l'arc-en-ciel
avorté et la porte. Sortie, tu te sens stupide bien sûr. Ils sont
rigides ou t'es braqué?
Tu
soupires. Tu as besoin d'un thé.
super...vive la rencontre des codes culturels...belle écriture (encore) !
RépondreSupprimerla culture zen s'apparente t - elle avec le respect d'autrui?
RépondreSupprimerbelle initiative ce blog mêlant clin d'œil de l'autre coté du blog avec aussi ces stupéfactions !
j'aurais plus que soupiré... était-il bon le thé?
j'aime l'éclairage de tes photos mi teintes qui donnent le même effet que certains films... bises!
lisa
clin d'œil de l'autre coté du globe...^^*lisa
RépondreSupprimerJ'ai toujours trouvé ça un peu flippant, le côté "c'est comme ça et pas autrement". Tu te dis qu'un jour ça va forcément péter, que ce genre de société ne peut pas tenir.
RépondreSupprimerEt puis tu te rends compte que si, que c'est juste une différence de culture et que tu ne peux pas comprendre.
Carole